
A l’âge des villes-mondes, les urbanités moyennes sont désertées. Mais qu’est-ce que cette désertion laisse derrière elle ? Et comment, peut-être, retrouver dans le destin des villes de seconde zone de quoi penser un avenir à l’invivable des grandes agglomérations ? La Féline réfléchit en chansons.
Agnès Gayraud a quitté Tarbes depuis longtemps ; elle s’est muée ailleurs, dans les grandes villes, se changeant, de nuit, en Féline gracile, de jour, en théoricienne raffinée. Mais on emporte tous et toutes ce quelque part d’où l’on vient, et ces morceaux de nous, ces bouts de pays qu’on laisse en friche sont parfois la proie mystérieuse de nos aspirations.
Treize titres et autant d’aventures, Tarbes forme un concept-album des plus troublants qui relate les années d’apprentissage d’une jeune femme dans sa ville natale. Il est le marqueur d’une époque avec ses référents, sa géographie affective et ses repères, mais il tend plus généralement vers un dialogue déplaçant les points de vue, les espaces et le temps entre Agnès la narratrice (« Va pas sur les Quais de l’Adour »), la confidente (« Je dansais allongée ») et la chroniqueuse (« Tout doit dis-paraître ») jouant avec les pôles d’une boussole très personnelle et les lois de l’attractivité d’une ville pas si commune.
« Tarbes » est un ensemble de chansons intimes, où la justesse est encore et toujours la première vertu, pour évoquer ce qui touche, dire les bons et les moins bons souvenirs, la critique et l’attachement, ou faire une déclaration d’amour aux montagnes majestueuses qui surplombent la ville…
Avec son électropop intense sous influence de Robert Wyatt, l’essayiste et musicienne Agnès Gayraud évoque de façon crue mais romanesque sa ville natale déclassée.
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Parce la musique de La Féline possède cette souplesse singulière qui fluidifie entre eux les styles, des aubades vibrantes irriguées par son amour pour Robert Wyatt jusqu’aux titres aux lisières du disco (“Dancing”), de la liturgie en langue occitane (“Fum”, d’après un poème de Louisa Paulin) à un brusque tonnerre métallique sur “la Panthère des Pyrénées”, elle parvient à rendre sexy des sujets aussi austères que la désertification des préfectures provinciales ou Jeanne d’Albret, la protestante qui fit brûler des catholiques tarbais. “Avec tes chansons, j’ai l’impression d’arriver à Hollywood”, lui a dit le photographe Alexandre Guirkinger en débarquant avec elle à Tarbes la première fois.Libération, 4 novembre 2022 – Christophe Conte
Distribution : Agnès Gayraud (chant-guitare), Léa Moreau (claviers et choeurs) et François Virot (batterie)